Les tableaux d'une exposition de Moussorgsky

 "Baba Yaga","Great gate of Kiev"

Historique : Viktor Hartmann (1834–1873)


C'est probablement en 1870 que Moussorgski a rencontré l'artiste et architecte Viktor Hartmann. Les deux hommes se sont consacrés à la cause de l'art russe et sont rapidement devenus amis. 


Moussorgski a basé sa musique sur des dessins et aquarelles de Hartmann exécutés surtout pendant les voyages de l'artiste à l'étranger. On y trouve la Pologne (Bydło, un chariot polonais), la France (Tuileries, Limoges, le marché, Catacombes de Paris) et l'Italie (Le vieux château) ; le mouvement final est associé à un projet architectural pour la capitale de l'Ukraine (La Porte Bogatyr). 


Seuls six tableaux présentés dans l'œuvre subsistent de nos jours :

 

  • un dessin de costume d'oisillon (Ballet des poussins),
  • deux portraits de juifs (Goldenberg et Schmuyle),
  • une aquarelle des catacombes de Paris (Catacombes),
  • une représentation de la maison de Baba Yaga (La cabane sur des pattes de poule),
  • le plan d'une porte monumentale (Porte de Kiev).


Moussorgski relie les mouvements de la suite d'une manière qui présente l'évolution du visiteur au cours de l'exposition. Deux mouvements de Promenade constituent en fait des introductions vers des sections principales de la suite. Leur rythme de marche où se mêlent régularité et irrégularités, évoque la progression de la visite. Trois interludes sans titre présentent des formes courtes de ce thème, en variant l'humeur, la couleur et la tonalité dans chacun pour proposer une réflexion sur une œuvre que l'on vient de voir ou anticipant sur une nouvelle œuvre entrevue. Un tournant apparaît dans la composition avec Catacombes lorsque le thème de la Promenade cesse de fonctionner comme un simple dispositif de liaison et devient, dans le Cum mortuis, une partie intégrante du mouvement lui-même. Le thème atteint son apothéose dans le final de la série, la Porte Bogatyr.


BABA YAGA « La Cabane sur des Pattes de Poule  »

(Do mineur, mesure à 2/4) (Allegro con brio, feroce – Andante mosso – Allegro molto)


On trouva chez Hartmann une esquisse d'une horloge en bronze représentant une petite isba sur des pattes de poulet. Cependant la fantaisie de Moussorgsky imagina quelque chose de très différent - la figure puissante et dynamique de la sorcière Baba-Yaga, un tableau de "force maléfique", rempli de dissonances démoniaques (dès la première mesure avec le saut brutal d'une grande septième). Au début se font entendre quelques accords impulsifs qui se multiplient imitant la course par laquelle commence le vol de la sorcière. De sonores croassements représentent le désordre et la méchanceté de Baba-Yaga. Les accents irréguliers imitent la démarche boiteuse de sa jambe de bois. Sur le fond de ces sonorités fait irruption la joyeuse et ivre mélodie jouée en accords pleins qui balaye littéralement tout sur son passage. A la suite de quoi apparaît la partie centrale du mouvement, tout à fait différente, douce et inquiète à la fois, pleine d'accords instables. Ensuite, dans une troisième partie, revient brutalement le premier thème suivi par une cadence pianistique faite d'une alternance de notes à l'octave signalant l'envol et qui finalement se fond dans le premier accord du mouvement suivant.


LA GRANDE PORTE DE KIEV

(Mi bémol majeur, mesure à 2/2) (Allegro alla breve. Maestoso. Con grandezza)


Le dernier mouvement du cycle se fonde sur l'esquisse de Hartmann pour sa participation au concours d'architecture pour les portes de la ville de Kiev. Alexandre II y ayant en effet échappé à un attentat le 4 avril 1866, il décida d'offrir une porte monumentale à la ville et lança un concours. Le projet de Hartmann relevait du style russe ancien - une tour munie d' un clocher bulbé et au dessus des portes une décoration en forme de la coiffe féminine traditionnelle, le kokochnik. Les portes soulignaient donc le caractère de Kiev comme une ville de la Russie ancienne. Le concours fut cependant annulé, et les projets ne furent jamais réalisés.


Le mouvement imaginé par Moussorgsky peint le tableau coloré d'une solennité populaire et prend des allures de final d'opéra. L'indication "Maestoso", le rythme lent avec ses grandes durées donnent à ce mouvement de la grandeur et de la majesté. Au début on entend une ample mélodie russe chantante qui se change ensuite de façon constrastée en un second thème calme et distant qui rappelle un hymne ecclésial. Ensuite le premier thème ressurgit avec une nouvelle force, rajoutant encore une voix (des mouvements de croches à l'octave) et de nouveau passe, cette fois fort, au deuxième thème choral. Bientôt ce thème s'éteint et commençant la deuxième partie du mouvement, débute l'imitation au piano du son de cloche, d'abord calme et en mineur, puis de plus en plus fort et passant en majeur. A la lente grosse cloche s'ajoute en triolets une cloche plus petite puis, en croches encore plus délicates et au plus haut registre de l'instrument les petites cloches et dans leur tintamarre se glisse le thème de la Promenade - le thème de l'auteur, avec lequel le cycle avait commencé - dévoilant sa parenté avec le thème du présent mouvement. Enfin, dans une troisième partie on entend une variation renversée sur le thème de la première partie et les Tableaux sont conclus par une grandiose Coda.


Orchestrations et arrangements

Le premier musicien à arranger l'œuvre de Moussorgski pour l'orchestre fut le compositeur et chef d'orchestre russe Mikhail Touchmalov (1861-1896). Toutefois, sa version (créée en 1891 et probablement rédigée au début de l'année 1886 alors qu'il était l'élève de Rimsky-Korsakov) n'inclut pas toute l'œuvre: seulement sept des dix tableaux sont présents, sont exclus Gnome, les Tuileries, et Bydlo, et toutes les promenades sont omises sauf la dernière, qui est jouée à la place de la première.


L'orchestration suivante est due au compositeur britannique Henry Wood en 1915. Elle élimine elle aussi plusieurs des promenades.


Le premier musicien à proposer une orchestration de l'œuvre dans son intégralité fut le chef d'orchestre et violoniste slovène Leo Funtek, qui termina sa version en 1922, alors qu'il travaillait en Finlande.


Maurice Ravel en fait l'orchestration en 1922 à la demande du chef d'orchestre russo-américain Serge Koussevitzky, ce dernier en effectue la création le 19 octobre de la même année. Cette orchestration comprend un important solo de cor dans le dernier morceau. Cette démonstration virtuose d'un maître du colorisme a prouvé sa popularité en concert et dans l'industrie du disque en étant la version la plus jouée, mais Ravel omet la promenade entre les tableaux Samuel Goldenberg et Schmuÿle et Limoges.


Leopold Stokowski dirigea la version de Ravel pour le public de Philadelphie en novembre 1929 ; il réalisa dix ans après sa version très personnelle de l'œuvre (réécrivant plusieurs passages). Stokowski fera plusieurs révisions et enregistra trois fois son orchestration (1939, 1941 et 1965). La partition ne fut publiée qu'en 1971.


Beaucoup d'autres arrangements et orchestrations ont été créés, et la version originale pour piano est aussi fréquemment jouée et enregistrée. Un arrangement pour ensemble de cuivres fut réalisé par Elgar Howarth pour le Philip Jones Brass Ensemble dans les années 1970, et un autre pour quatuor à cordes a été réalisé par Baudime Jam pour le Quatuor Prima Vista au début des années 2000. Il existe aussi une adaptation pour guitare soliste par Kazuhito Yamashita.


D'autres versions très différentes du modèle classique ont été interprétées par des groupes de rock progressif et des ensembles de jazz et de folk, dont celle du trio de rock progressif Emerson, Lake & Palmer dans leur album de 1971 Pictures at an Exhibition, ainsi qu'une version pour synthétiseur par Isao Tomita en 1975 qui fut utilisée pour le court-métrage d'Osamu Tezuka Tableaux d'une exposition. Deux arrangements heavy metal furent réalisés par les groupes allemand Mekong Delta et américain Armored Saint, qui utilise le thème de la grande porte de Kiev comme introduction à sa March of the Saint. En 2002, le compositeur de musique électronique Amon Tobin paraphrase Gnome pour le titre Back From Space de l'album Out from Out Where. Carl Craig et Moritz von Oswald, autres compositeurs de musique électronique, réalisèrent en 2008 une revisite de la version de Ravel dans l'album ReComposed3. En 2003, le compositeur et guitariste Trevor Rabin réalise une adaptation pour guitare électrique de Promenade, jouée dans l'album de Yes Big Generator, qu'il inclut ensuite dans son propre album 90124. En 2006, le violoncelliste Didier Petit inclut les Tableaux, et en particulier la Grande Porte de Kiev, dans la suite Wormholes interprétée par lui-même, Camel Zekri, Edward Perraud, Lucia Recio et Etienne Bultingaire (Buda Musique 860139). Le début de La Grande Porte de Kiev a été utilisée par Michael Jackson en introduction de sa chanson History, dans le second CD de l'album HIStory.

Direction musicale

Nicolas Meilhan

06.03.19.31.05

osm33700@gmail.com

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